jeudi, avril 22, 2004
Penser nos contradictions, assumer nos divisions.
Alain Badiou [1]
Et pourtant, je pense que c’est la bonne question à se poser, moyennant son appropriation collective. D’abord, parce l’élucidation de l’immobilisme et des divisions se pose à l’évidence comme une condition introductive nécessaire à leur dépassement. Ensuite, parce la question interroge, au-delà des partis, l’opinion démocratique et patriotique. Sa portée est citoyenne et pas seulement partisane. On la vérifie sitôt qu’on se la pose à nous mêmes, individuellement et en groupe, sous sa forme négative : en quoi nous divergeons ?, et plus encore sous sa forme positive : sur quoi nous convergeons ?
Je soutiens que, dans ces deux versions, la question est basique et structurante. Y répondre en accusant, sur le mode détaché et souvent dédaigneux les "divergences idéologiques", ou en soulignant les convergences sur l’opposition à la dictature, ne nous dit rien ni sur ce qui est précisément en jeux dans les contradictions "idéologiques", ni sur ce que c’est "l’opposition à la dictature". Or, ces questionnements, loin de nous égarer -comme on l’avance souvent- dans des futilités idéologiques qui bloquent ou détournent de l’action, en commandent bien au contraire les leviers, étant posé que l’action se définit par une finalité univoque proclamée et des principes, une stratégie, des alliances, homogènes à sa finalité.
Il n’est que de voir, de ce point de vue, avec quelle facilité une avocate notoire de Ben Ali et de ses tortionnaires, par ailleurs apologiste excitée du sionisme et de l’Amérique de Bush, a pu s’infiltrer ou a été admise, comme on veut, dans les travaux du "chantier démocratique", et comment son entrisme donne lieu à "débat démocratique", pour mesurer toute la nécessité de la clarté idéologique à la conduite de l’action pratique ; le qualificatif "idéologique" se rapportant ici au système d’idées, d’idéaux, de valeurs et de croyances que l’on a ou que l’on adopte pour lire la réalité et voir monde (idéologie). Dans ce sens, qui la rapproche des représentations sociales et de la culture, l’idéologie est une donnée anthropologique constitutive des collectifs et des solidarités humains.
Que les lectures et les visions viennent à s’opposer, comme il arrive naturellement, et l’on aura tout aussi naturellement ce qu’on appelle des "divisions idéologiques", c’est-à-dire en l’occurrence des démarcations qui rendent compte de contradictions plus ou moins profondes : les unes, aux enjeux décisifs, sont antagoniques opposant des inconciliables qui, comme les irréductibles dictature/démocratie, anti-sionisme/normalisation, par exemple, se tranchent en termes bruts de rapports de forces ; les autres, non antagoniques, se prêtent pour leur résolution au débat démocratique, aux jeux de la négociation et des alliances, du moins sont-elles maîtrisables dans le cadre d’une communication intercompréhensive respectueuse de la différence [2].
Je sais bien, à activer cette thématique de l’idéologie et de la lutte idéologique, à contre courant de l’air du temps, que le propos s’expose aussitôt à la disqualification pré-jugée, théorique autant qu’empirique, par les gendarmes du penser politiquement correct, qui est le penser conforme. Les attendus du jugement sont connus. On nous dit, en gros, que le corpus conceptuel même de l’idéologie n’a plus de réalité justificatrice depuis que son ressort principal est-ouest s’est définitivement distendu des suites de la faillite totale du système communiste ; et que le présent et l’horizon de l’humanité sont désormais affaire de science et de technologie, non plus d’idéologie. On ajoute que le modèle qui reste, celui de l’humanisme individualiste et libéral, vainqueur d’abord du fascisme et du nazisme puis du communisme, tient sa force de ce qu’il n’est pas vraiment une idéologie, produite comme les autres par la pensée constructiviste et interprétative des hommes de leur monde et de ses réalités, et soumise comme telle aux lois de la contingence et des temps qui changent, mais un système conforme à la réalité et à la nature humaine, que son économie capitaliste, sa société libérale, sont état de droit et ses institutions démocratiques, ne feraient qu’organiser et étendre au bénéfice de tous les homme ; et que l’étique des Droits de l’Homme, flanquée de son droit d’ingérence humanitaire, et maintenant politique et militaire, serait justement à la fois l’outil de cet extension, et le substitut apaisé de notre temps aux divisions idéologiques qui, si elles devaient résister à la valeur suprême de tolérance, dans les pratiques, seraient tenues pour des abstractions ringardes, seulement motivées par le sectarisme, le fanatisme, la haine de l’autre...
Les prêches professant "la fin des idéologies"[3], "la fin de l’homme, et même de l’histoire"[4], et glorifiant, en contre point, "le pragmatisme et le réalisme", ne sont rien d’autre en vérité qu’une ....idéologie, sauf que celle-là appartient à la catégorie des constructions intellectuelles de mystification de la réalité. Ce n’est en effet qu’un discours de légitimation, du moins de justification, par les oppresseurs d’un état d’oppression à pérenniser. La doublure de ce discours, pour les peuples et les catégories sociales opprimés, est cette culture de la défaite, appelée "réforme démocratique", que l’impérialisme s’active à imposer au monde arabo-musulman, par exemple, devant le fait accompli par la puissance rapace du sionisme en Palestine et du néocolonialisme en Irak.
Il faut sans cesse le dire et le répéter : l’éradication de toute culture de résistance identitaire, et la bénédiction du sionisme, sont tout à la fois le critère, la condition, la fin et les moyens de la démocratie, tels que affichés, programmés ou déjà mis en œuvre par le gendarme impérialiste pour son Grand Moyen Orient. Là est le cœur du dispositif : imprimer dans les esprits une suite d’équivalence décrétées vérités : contestation = atteinte à l’ordre public, résistance = terrorisme, affirmation identitaire = racisme, idéologie = fanatisme, anti-impérialisme = anti-occident, anti-sionisme = anti-sémitisme, modernité = occidentalisation..., en sorte de normaliser l’injustice, diaboliser la révolte, handicaper l’ambition, criminaliser la résistance, tuer l’espérance... Il n’y a pas à s’y soumettre !
Ne pas s’alarmer donc des conflits, et ne pas s’en détourner non plus ni, encore moins, les disqualifier, en termes de jugement moral. Les "divisions" ne sont que les marqueurs politiques des contradictions et des antagonismes idéologiques. On a beau dire et se croire neutre, au dessus de la mêlée, partisan de l’unité contre les divisions, on en n’est pas moins objectivement situé dans des rapports sociaux et idéologiques gouvernés par la loi, politique, des rapports de forces qui tranchent les divisions, et non pas par les incantations sanctifiant l’unité et maudissant les divisions. Et du reste, la question, morale, du primat de l’union sur la division ne se pose pas, pas pour une conscience patriotique et démocratique en tous cas : ce primat lui est intrinsèque.
Ce qui reste posé, c’est le problème, politique, de nos convergences et de nos divergences en tant qu’elles réclament, pour être lisibles et maîtrisables, un travail de défrichage, en particulier du champ de nos contradictions. Dès lors que celles-ci sont publiquement débattues, élucidées et assumées, les divisions en apparaîtront comme un gain de clarté profitable et nécessaire à l’engagement et à l’action qu’elles dynamisent, quand la recherche aveugle de l’unité pour l’unité, qu’elle soit naïve ou calculée, ne fait que ramollir le premier et paralyser la seconde, sans rien réaliser de significativement unitaire, qui plus est ! Dit autrement, le dépassement des divisions exige au préalable de reconnaître, au double sens d’identifier en les caractérisant, et d’admettre en les assumant, les contradictions qui en sont à la base, à commencer par les contradictions antagoniques où se jouent, tout en noir ou tout en blanc, les questions qui ne supportent pas la neutralité, ni ne s’accommodent de l’équivoque, encore moins de la compromission.
Répugner ou hésiter à y prendre sa place, par souci d’unité ou de neutralité, s’en cacher et s’en accommoder au nom d’un front de "tous les tunisiens", peut faire illusion, mais avérera comme toujours, sitôt dissipé le temps de l’euphorie, un consensus creux et sans lendemain. Aussi bien, la question de nos convergences et de nos divergences demeure t-elle entière, toujours prête à resurgir au commencement de toute action. Tant qu’elle n’est pas traitée au fond, elle reste incontournable. Le seul moyen de la contourner est de l’ignorer en faisant semblant..., ce qui revient immanquablement à tourner en rond, tant il est vrai que nous ne faisons justement que l’ignorer depuis de longues années.
Poser la question et en débattre enfin à l’échelle large de l’opinion démocratique, hors les tutelles et les rigidités des partis politiques et des esprits de chapelle, c’est refuser de nous laisser déposséder plus longtemps de la faculté de penser, et de nous exprimer, sur les problèmes qui nous regardent. Il y va en effet de la citoyenneté et de la responsabilité de chacun de se mêler des problèmes que des élites lointaines et des partis non représentatifs, ou si peu, prétendent trancher chacun pour soi et les uns contre les autres, mais tous quasiment hors la consultation et la participation du peuple. C’est une oeuvre patriotique salutaire que de s’inviter au débat, et de le dé-confisquer pour le populariser sur les problématiques qui nous font converger ou diverger, de manière à clarifier les termes et les enjeux des contradictions en présence et, au bout du compte, de choisir son camp.
Telles que sommairement suggérées ci-après, ces problématiques, loin de relever de l’idéologie, au sens péjoratif d’un système clos d’idées assuré de sa véracité contre les autres, engagent en réalité les affects de chacun et son rapport propre à son collectif d’appartenance. Elles requièrent sans plus attendre des réponses transparentes, engagées et engageantes, qui rendent lisibles et visibles les antagonismes et les contradictions qui nous traversent, et s’y positionnent clairement. Il n’est pas de dépassement possible de la situation qui puisse s’opérer sans un mouvement massif d’abord d’appropriation collective qui fassent des problèmes de l’opposition le problème des masses, puis d’engagement qui tranche les camps en tranchant les contradictions. Alors, et alors seulement s’ouvrira l’horizon du dépassement...
a- Quelle identité -cette thématique de l’identité recouvrant les divers aspects de la question de la souveraineté nationale- entre une Tunisie authentique assumant sereinement ses filiations arabo-musulmanes et sa place naturelles dans le combat d’émancipation arabe, notamment et résolument sur le front anti-sioniste, et une Tunisie tounsia de sa mosaïque exotique offerte à la curiosité touristique ; plus intégrée à l’occident méditerranéen et plus réceptive aux influences sionistes... ?
b- Quelle démocratie entre un modèle séculier* inscrit dans la modernité et tourné vers le progrès, dans la fidélité au système général de valeurs identitaires du pays et dans le respect des libertés publiques et individuelles et de l’égalité homme-femme, et un modèle islamique sinon islamiste plus ou moins inspiré, voire contrôlé, par la chariaa ?
c- Quelle opposition au régime entre une voie légale-réformiste prête à la compromission, ou y versant déjà, sous couvert de "réconciliation nationale", et une approche radicale visant les ressorts mêmes de la dictature à travers et au delà de la personne du dictateur ? ( l’autre versant de ce troisième point s’articule à la question sociale et peut s’énoncer ainsi : qui est mobilisable contre la dictature et pour quels intérêts ? quelles forces sociales pour quel projet politique alternatif ?... Le choix de ne pas mentionner ce questionnement en un 4ème point ne signifie nullement qu’il est secondaire. Il est au contraire décisif. J’ai simplement postulé qu’il y a un potentiel sociologique largement représentatif du peuple tunisien et suffisamment motivé au renversement de la dictature...)
L’essentiel des contradictions au sein de l’opposition tunisienne me semble s’ordonner à ces questions de fond. La réduction subordonnant nos problèmes au côté supposé rétrograde et fascisant de l’islamisme et des islamistes ne fait, de ce point de vue, qu’obscurcir les dites contradictions en permettant à quantité d’opportunistes et de néo-harkis de se faufiler dans la confusion, à la faveur de faux problèmes trop vite et trop facilement baptisés "différences et contradictions démocratiques".
Oui, l’islamisme pose de graves problèmes quand il prétend prescrire peu ou proue : a/ des normes contraignant les conduites individuelles et les comportements sociaux, et b/ un statut restreignant en quoi que ce soit les droits de la femme et sa liberté, tout à l’égal de l’homme... ; et oui, les islamistes tunisiens doivent au peuple un bilan consistant qui éclaire l’expérience passée et explicite leur projet présent, et à l’opinion démocratique une évaluation critique de certaines violences obscurantistes et pratiques totalitaires qui entachent leur début, qu’ils l’aient voulues par choix délibéré ou subies par débordements incontrôlés... C’est, en partie, l’enjeu de la problématique 2.
Mais non, pour essentielle qu’elle soit, celle-ci, c’est-à-dire la question de l’islamisme/démocratie, n’englobe pas ni ne surdétermine les deux autres ( celle de l’identité et celle du rapport au régime ). Et si cela vaut, dans le principe, également pour toutes les logiques exclusives qu’elles soient islamiste ou anti-islamiste, force est de constater que la pratique, elle, en est le fait des anti-islamistes qui se sont donnés une vocation d’éradicateurs, et au mieux de "videurs", à partir du postulat obsessionnel que islam et ou islamisme sont tueurs de libertés, antagoniques à la démocratie, imperméables à la modernité. 3
Or, s’acharner à tout ramener à cette équation, à tout faire en dépendre -lors même que sa validité est douteuse, pour le moins, contestable et vigoureusement contestée à tous égards-, ne fait que couvrir ou dédouaner, dans bien des cas, ceux qui, s’abritant derrière l’épouvantail de "l’extrémisme" religieux :
1° sur la question 1 de l’identité : travaillent, souvent à l’ombre et parfois au grand jour, à la suppression de la mention de l’arabité et de l’islam de la constitution tunisienne dans une logique de tolérance au sionisme, de légitimation de l’occupation néo-coloniale de l’Irak..., et d’une plus franche ouverture de la Tunisie à la tutelle impérialiste ;
et / ou 2° sur la question 3 du rapport au régime : pratiquent une opposition qui oscille entre la pleine collaboration, y compris gouvernementale, et la compromission active et passive...
Ce qui est en cause ici, ce ne sont pas les options politiques et idéologiques qui, en démocratie, ont le droit à l’action et à l’expression, la lutte idéologique se chargeant de trancher les contradictions sous l’arbitrage démocratique du peuple. Encore faut-il, justement, pour qu’une telle lutte soit résolutoire des contradictions, et donc motrice de dépassement, que soit admise et respectée, il faut en convenir, l’obligation éthique de transparence qui astreint chacun à afficher et à assumer clairement ses options. Et c’est cela qui est en cause ici : le discours universaliste et abstrait qui fuit le particulier et se dérobe au concret, les déclarations de circonstances, écrites à l’encre de l’hypocrisie ou dites en langue de bois, et surtout la manipulation grossière de phobies tout droit sorties du lexique de l’amalgame américano-sioniste associant résistance arabe et islamisme militant à terrorisme et fanatisme.
Avantages immédiats : c’est très vendeur à Paris et Washington et, bien sûr, à ...Carthage dont on imagine sans effort le bénéfice qu’on y tire de la fracture et de l’immobilisme ainsi provoqués au sein de l’opposition ; ça permet aussi d’esquiver le face-à-face avec l’opinion, sur les questions fondamentales du positionnement identitaire du pays, et de la nature de l’opposition au régime, en déplacent la confrontation idéologique et le débat démocratique du terrain concret des tâches pratiques et des rapports de forces politiques, au registre abstrait des à priori dogmatiques et des spéculations philosophiques sur on ne sait quelle disposition congénitale des islamistes tunisiens à l’obscurantisme et au terrorisme, voire au fascisme. Car, pour ce qui est de la réalité des choses, même les ....américains le reconnaissent : non, le mouvement Enahda incarne un islamisme modéré ; il n’est pas terroriste !
Il n’empêche : Une élite d’occidentalisés aliénés jusqu’au déni de soi, représentant une frange d’acculturés -sans que l’on sache, à défaut de recherches scientifiques en sciences sociales, ce qui relève dans cette acculturation de l’adhésion assimilatrice, ce qui en revient aux mutations sociologiques et aux interactions générationnelles et ce qui en est imputable aux phénomènes plus superficiels de l’injonction mimétique ou de l’expression des dépits et frustrations-, fera plus américain que les américains. Et maintiendra quand même l’opinion préjugée contre la vérité, le procès d’intention contre la justice, le mensonge contre l’évidence. Tout est bon pour "noyer le poisson" en criant à tout bout de champ au "danger" islamiste. Car, pour le reste, notre élite occidentaliste est en porte-à-faux de par son profil idéologique, et insignifiante de par sa consistance sociologique, au regard de la masse du peuple et du pays réel. Son islamophobie, son arabophobie, sa science arrogante, ses injonctions de tutelle, ses discours hautins..., mais aussi ses appuis et sa logistique occidentaux..., mais encore ses anciens et nouveaux collaborateurs au pouvoir de Bourguiba puis de Ben Ali, ses traqueurs du "révisionnisme" de "l’antisémitisme", ses prédicateurs anti-voile..., en font les animateurs du microcosme tunisois et, surtout, des militants, façon agents de lobbying, qui comptent à Paris et dans les cercles des amitiés israéliennes, mais pas du tout dans les profondeurs du pays, où ils ne sont même pas ...connus.
Mais de là, il ne s’en suit pas qu’ils sont quantité négligeable et à négliger ! Bien au contraire, justement parce qu’ils forment, drapés des couleurs locales, la cinquième colonne de l’influence néo-coloniale et sioniste, bénéficiant, à ce titre, de la protection politique, des relais médiatiques et de l’appui logistique des puissances occidentales. En cela, ils rééditent l’allégeance des harki à l’ennemi. Ce sont de néoharkis : leur disposition au reniement de soi et des leurs n’est que l’autre face de leur adhésion-soumission aux injonctions américano-sionistes faites valeurs humanistes et universelles obligées.
Fait caractéristique majeure de notre temps, en effet, que cette imposition brutale des puissants de leurs système de valeurs à l’humanité, à la faveur d’une hégémonie généralisée, militaire, politique, économique, et surtout idéologique et médiatique, subordonnant ce que l’Humain et le Bien ont d’universel à ce que les valeurs de l’occident et les intérêts du sionisme ont de particulier, et assénant, par là même, sur tous les registres et par tous les moyens, y compris la contrainte et l’intimidation, l’identification de l’arabe résistant et de l’islam militant au Mal et à la barbarie.
C’est sur et grâce à ce fond de propagande idéologique, visant sinon la colonisation des esprits du moins la destabilisation dépréciative des repères identitaires, que peut se déployer au mieux le stratagème de subordination des contradictions de l’opposition tunisiennes à la question de l’islam et des islamistes. Il n’y a pas à s’y compromettre !
Il faut décentrer le regard pour se dégager des blocages de ce piège ! Car non, toutes nos contradictions ne s’originent pas dans ce foyer de passions qui pourrait bien être aussi un foyer de diversion. Par exemple, de ce que quelqu’un soit partisan d’une démocratie laïque entièrement affranchie des prescriptions religieuses, au titre de la problématique de la démocratie (2), il ne s’ensuit pas forcément qu’il est un esprit occidentalisé en rupture avec son identité arabo-musulmane et ses engagements anti-sionistes au titre de la problématique de l’identité (1), pas plus qu’il n’y a de déterminisme garantissant à priori que l’on est anti-impérialiste et anti-sioniste parce défendant un projet islamiste. Et vice et versa.
En somme, il n’y a pas de logique d’équivalence organique qui attribue d’office à telle position sur l’une des trois problématiques telle position sur les deux autres, mais un complexe de positions relativement autonomes agencées en fonction de chaque logique politique.
Il appartient à chacun de dire et d’assumer la sienne. Clairement.
Notes :
* relativement à sécularisation qui désigne "l’évolution des sociétés modernes dans le sens d’un affaiblissement de l’influence religieuse ..sur les conduites individuelles". Il ne s’agit pas d’athéisme, et pas vraiment de laicité : "les hommes peuvent être en majorité croyants, mais ils se sentent moins tenus de se référer à leurs croyances religieuses pour orienter leurs choix d’existence.". cf. La pratique de la philosophie, Hatier, Paris, 2000
1 Badiou A, L’éthique Essai sur la conscience du Mal, Hatier, Paris, 1993
2 J’ai développé ce thème dans "La démocratie et nos contradictions"
3 La fin des idéologies qu’est-ce-que ça veut dire ?
4 Dossier : Francis_Fukuyama
5 Huntington Samuel P. , Le choc des civilisations, Editions Odile Jacob, Paris, 1997.