dimanche, janvier 11, 2004

La démocratie et nos contradictions

La pratique de la démocratie comme "morale de débat" pour contenir et résoudre nos contradictions, selon la formule de notre Juge Mokhtar Yahiaoui., suppose au préalable l’adéquation ou la compatibilité du moyen (débat démocratique) à la finalité poursuivie (résolution raisonnée des contradictions). Qu’en est-il ? Est-ce le cas ?

I. Non, très certainement pas, lorsque les contradictions sont de type antagoniste, opposant des irréductibles tels racisme /égalité, fascisme/liberté, colonialisme/indépendance, dictature/démocratie, patriotisme/servilité... Dans ces cas-là, la démocratie n’apparaît pas tant comme une valeur civique ou éthique ou philosophique, au dessus de la contradiction, et, comme telle, capable d’en réguler les désordres, mais bel et bien l’un des deux termes qui s’y opposent, dans une lutte radicale où chacun joue sa survie dans un jeu soumis à la seule loi, pratique, des rapports de forces en présence. Pas de synthèse, pas de coexistence, pas de solution dialogique possibles! La démocratie ici est, tout à la fois, l’enjeu et l’étendard politique du combat contre l’oppression et la tyrannie et leurs agents. Elle en est partie prenante. Aussi bien, ne cherche t-on pas à composer avec la dictature ou à négocier avec ses tortionnaires, mais à la mettre bas. En l’occurrence, ZABA doit partir, ....pour le moins !

De la même manière, et en vertu de ce même principe, il faut se résoudre à poser enfin clairement que certaines contradictions à l’intérieur de l’opposition tunisienne sont, elles aussi, de nature antagoniste, toute opposition à ZABA et à son régime n’étant pas en elle-même un gage de démocratie et de patriotisme, ni forcément porteuse de valeurs authentifiées par le peuple et partagées par toutes les oppositions .
Ce n’est un secret pour personne que deux dangers antidémocratiques et anti-populaires pèsent (inégalement ?) sur notre devenir. L’un, particulièrement réactionnaire et obscurantiste, provient d’éléments peu visibles, et si bien dissimulés dans les rangs des islamistes que leur influence y est, à vrai dire, malaisément évaluable. Ce n’en est pas moins une menace en puissance qu’il faut prendre à sa juste mesure. Ni l’ignorer, ni l’exagérer, mais y être vigilant. L’autre danger, bien visible, bien audible et bien réel, celui-là, est représenté par de vrais opposants, de faux opposants et de demi-opposants, à sensibilité de "gauche" et "d’extrême gauche", mais également libérale et de droite, constitués en force politique et en courant d’opinion porteurs d’un projet laïcisant, prônant explicitement ou implicitement la désarabisation et la désislamisation de la Tunisie, pour sa plus franche intégration à la sphère de la domination impérialiste et des amitiés israéliennes. Le moyen ? "Une démocratie" sur intervention et sous protection, américaines pour les uns, françaises pour les autres, qui nous débarrasserait enfin de la dictature. Et tant pis pour le peuple qui y perdrait son âme et son être identitaire...
Plus qu’une "démocratie sans peuple", cette démocratie là est une "démocratie contre le peuple", c’est-à-dire une oppression ! Voilà pourquoi, je n’ai rien à partager, et ne veux rien avoir à "débattre démocratiquement" avec ceux qui commencent par me dénier mon identité, qui est l’identité arabe et musulmane de mon peuple. Ce n’est pas du "repli", c’est une position de démarcation antagoniste réactive à leurs attaques.
A qui ne veut pas voir, le " il est bien kouanji, qu’il crève !" dans la bouche de ce responsable local de la LTDH, parlant du militant emprisonné Karim Harouni, vient rappeler -après l’épisode non moins ignoble de la stigmatisation des femmes tunisiennes qui portent le voile par la même LTDH, de concert avec "l’Association des femmes démocrates" et la section tunisienne d’Amnesty International- que pour certains "démocrates" les islamistes ne méritent pas leur tunisianité, ni même leur... humanité. En quoi ils font jeu égal avec la dictature, qu’ils ont du reste ralliée depuis longtemps déjà, et qu’ils continuent d’inspirer sur le registre haineux du rejet du nationalisme arabe et de l’islamisme. Ils ont même formellement conduit ou collaboré, faut-il le rappeler, à ses politiques criminelles de répression de l’expression politique de la Tunisie arabe et musulmane, et à la déformation de ses composants éducatifs et culturels. Si bien que "le débat démocratique" avec eux apparaît pour ce qu’il est : rien de plus qu’une entreprise confusionniste et parasitaire, seulement utile à la dissimulation de leur opportunisme. Au vrai, il s’agit d’antagonisme idéologique (vision du monde et appartenance identitaire), et non pas de dialogue démocratique.

Alors, de la clarté et de la clarification : avec ces gens-là, la contradiction n’est pas moins antagoniste qu’avec le régime, au motif qu’ils lui sont opposés. La contradiction avec les partisans de l’occident impérialiste qui sont les "amis" d’Israël, et vice et versa, est un antagonisme qui ne peut avoir de solution que dans le rapport de forces, à travers la confrontation idéologique et politique, parce que ce qui y est en jeu c’est tout à la fois : 1. la démocratie comprise comme un système d’organisation politique du vivre ensemble en fonction de composants et de valeurs communément partagées qui constituent les vivants ensemble en entité collective, en l’occurrence le peuple arabe tunisien, et 2. la souveraineté ou l’indépendance nationale de ce peuple.

II. Oui, la démocratie comme discipline et morale de débat est assurément le moyen, nécessaire et souhaitable, sinon à la résolution du moins à l’apaisement de nos contradictions, lorsque les termes de celles-ci se trouvent contenus dans le camp des forces démocratiques et patriotiques. A l’intérieur de ce camp, les contradictions ne sont pas antagoniques mais seulement vives, eu égard à la multiplicité des profils, légitimement différents, des partenaires. Une communication démocratique, attentive à et respectueuse de l’autre, est alors requise pour permettre l’échange et la décentration de manière à féconder les meilleurs synthèses.
Et c’est possible. Malgré tout ce qu’on a pu lui reprocher sur la forme, et à juste titre, la rencontre d’Aix témoigne, ne fut-ce que faiblement, de cette fécondité. Je tiens L’Appel aux tunisiens qui en est issu pour un acquis démocratique, susceptible de canaliser et de féconder le débat dans le sens tant voulu de l’unité. Ses 12 points tracent une plate-forme praticable à cet effet, encore faut-il le vouloir et le faire.
Que le courant laïciste se démarque d’une telle plate-forme, et qu’il s’en inquiète, cela n’a rien d’étonnant venant de gens résolus à s’opposer prioritairement à tout projet d’une Tunisie démocratique dans la fidélité à son identité arabe et musulamne, quitte à s’encanailler avec la dictature. Mais que d’autres, individualités et partis progressistes, anti-impérialistes et anti-sionistes, l’aient jugée nulle, la rejettent systématiquement ou l’ignorent purement et simplement, voilà qui suscite interrogations et inquiétude. L’explication selon laquelle il s’agit d’un refus de principe de composer avec les islamistes relève plus du préjugé stigmatisant et du procès d’intention que de l’argument politique. Elle ne nous dit pas vraiment en quoi ou sur quel point précis l’Appel pose un problème de vision à tel ou tel.

Je ne suis pas islamiste. Mieux, je ne suis pas partisan d’un projet politique islamiste, fut-il le plus modéré, pour mon pays. Mais jusqu’à preuve du contraire, les islamistes sont là, qui ont droit à l’expression et à la représentation politique, comme les autres. Qui plus est, ce droit est forgé dans un combat sans concession ni compromission avec le régime ; et légitimé par le prix fort de leurs luttes..., et de la souffrance incommensurable de leurs militants, livrés par centaines depuis des années aux tortionnaires dans les prisons du régime ...
"Ah mais ils cachent bien leur jeu, car au fond ils sont réactionnaires, sectaires, inquiétants pour la démocratie", réplique t-on ! il faut répondre : phobie toute "occidentale" de l’islam, mauvaise foi et sectarisme arrogant et méprisant... ! Car c’est prendre les signataires de l’Appel -que le Juge Yahyaoui, le Dr. Marzouki et les autres me pardonnent- pour des imbéciles manipulés par les islamistes. ce qui témoigne, par extension et au delà, d’un mépris royal pour l’intelligence des gens. N’est-il pas plus logique et plus honnête et plus responsable, si tant est que la méfiance envers les islamistes est vraiment sincère, de les "contenir" dans un front démocratique référé à l’arbitrage du peuple, dès lors qu’ils s’y sont montrés tout disposés en signant l’engagement démocratique de l’Appel aux tunisiens ?

Maintenant, si l’anti-islamisme idéologique devait être le plus fort, pourquoi les reste de l’opposition tarde t-il à organiser son unité, sans eux (les islamistes) ?
La vérité, ainsi qu’il ressort encore une fois de l’actualité des frictions dans l’opposition, semble bien accuser les considérations personnelles qui relèvent, finalement, de l’incompatibilité d’humeur et des amours propres. Le plus souvent, la paresse, l’égocentrisme méprisant, la volonté de puissance..., sont effectivement ici à la base des divergences. Tant que ces messieurs et dames ne nous expliquent pas en termes politiques et stratégiques exempts de faux fuyants et de langue de bois, en quoi le document d’Aix ne convient pas ou manque aux exigences de la situation, je ne m’expliquerai pas autrement la frilosité des uns et la méfiance des autres.

Mais je ne peux pas, je ne veux pas me résoudre non plus à accepter ou à croire que les ambitions carriéristes, les orgueils incommensurables et le sectarisme idéologique ont triomphé de la conscience patriotique.

Alors Mrs. Chebbi et Marzouki, à quand un meeting sur TUNEZINE ?
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PS. Pour "les initiés", fins connaisseurs des rouages de l’opposition tunisienne, cette opinion paraîtrait peut-être "naïve". Je ne suis en effet partisan de personne, ni fana des "petites histoires" ni applaudisseur de mon Chef. Je parle en simple citoyen en mon nom propre de mon pays et de mon peuple, pas en leur nom.

OuildBled
11. 01. 2004

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Lieu : Tunisia

Il est dans l’air du temps de s’identifier par sa qualité d’Homme. Moyennant quoi, bien des intellectuels arabes se détachent de leur appartenance identitaire, et trouvent même quelque gloire à dénigrer leur peuple… Je ne suis, moi, qu’un homme. Mon humanité n’est pas dans l’humanisme abstrait qui donne les hommes pour des sujets également dotés de droits inaliénables. Mon humanité est dans la réalité sensible des situations concrètes de révolte et de résistance de l’homme opprimé. Ici, je suis « un indigène de la république». Là-bas, je suis ouildbled : un enfant du pays, de mon peuple. Un peuple opprimé par une dictature d’autant plus féroce et humiliante qu’elle jouit du soutien des puissances occidentales et s’encanaille avec le sionisme. Ma singularité n’a de sens que référée et incluse dans le nous qui parle en moi et pour moi. Il n’est d’homme libre qu’appartenant à un peuple lui-même libre. Et il n’est d’humanisme universel qu’incarné dans les humanités particulières telles que vécues dans des conditions historiques données. Je suis arabe. Je suis musulman. Je suis résistant.